Le psychiatre
Il y a un mois, le Dr Pollet m’a proposé de faire un post sur la collaboration entre le psychiatre et le psychologue en libéral.
[Les phrases en italiques sont rajoutées par le psychologue :)]
Je pense que j’ai tardé à l’écrire non seulement par manque de temps, mais aussi parce que je ne suis pas du tout à l’aise avec le sujet.
[Je suis très content de cette proposition de thème. Encore aujourd’hui, ça me fait bizarre d’écrire avec un psychiatre. C’est un thème qui me met aussi mal à l’aise. Fou non ?]
Le fait est que je ne communique que très rarement avec les psychologues libéraux - et les psychologues hospitaliers aussi d’ailleurs. Je lis volontiers un bilan neuropsychologique - ce qui me permet ainsi de survoler ce qui ne m’intéresse pas.
Les raisons sont les suivantes, données dans le désordre, et ce sont des raisons personnelles qui ne sont pas partagées par tous les psychiatres :
Le temps : je travaille dans un timing très serré, si je dois passer du temps sur un dossier il faut que ça en vaille la peine, sinon j’aurais aussi bien pu lire un article qui m’aurait aidé sur des centaines de patients (exemple des problématiques de testostérone et de son association avec les symptômes dépressifs).
La psychanalyse : je parle de psychanalyse, mais c’est en réalité un problème qui n’est pas restreint à la psychanalyse du tout ; le problème est que certains psychologues utilisent un jargon dont le sens m’échappe, des concepts avec lesquels je ne suis pas d’accord, parfois culpabilisants, parfois tout simplement authentiquement incompréhensibles pour moi.
[On a aussi le problème entre nous : on a du mal à se parler pour ces raisons]Le DSM : le DSM est parfois utilisé en France pour faire la scission entre les gens compétents ou non - le problème, c’est que c’est un ramassis d’âneries. Je ne compte pas les fois où j’ai eu affaire à des psychologues qui me disaient “il n’est pas bipolaire il n’a pas fait de phase maniaque”, ou “la patiente est borderline elle a 10 critères du DSM”, et autres pitreries.
Le HPI et l’hypersensibilité : je ne supporte pas d’entendre ces “diagnostics”, “troubles”, “particularités”, appelez ça comme vous voulez - à chaque fois que je lis un compte rendu.
Bien sûr, tous les psychologues ne font pas ça, c’est toujours la même histoire, je me souviens de la minorité bruyante - mais ça me déclenche une réaction anaphylactique à chaque fois.
Certains psychologues ne connaissent rien à la pharmacologie. C’est regrettable parce que si on ne connait pas les effets secondaires, on ne va pas tomber dessus - et on peut commencer à rationaliser des effets secondaires très problématiques, le plus commun étant l’exemple du “il mange pour se remplir” suite à l’instauration de molécules obésogènes.
Il n’est pas imaginable que les psychiatres n’aient pas les bases de psychologies, il en va de même pour les psychologues qui n’ont pas les bases de psychopharmacologie. C’est une réelle perte de chance pour les patients dans les deux cas.
[Oh oui, je crois qu’on est globalement nuls et sous-formés à ce sujet. Moi y compris.]
J’ai quelques psychologues avec lesquels c’est toujours un plaisir d’avoir une discussion. De façon générale, il est indispensable d’avoir un avis externe, que ce soit par un proche, ou par un autre professionnel de santé - psychologue, infirmier ou autre ; ils ont tous une valeur ajoutée. Mais nous n’avons toujours pas réussi à avoir un langage commun - c’est l’échec le plus cuisant du DSM, qui n’aura pas réussi à résoudre ce problème.
J’insiste, je ne pense pas faire mieux ou pouvoir me passer de leur avis. J’ai des psychologues qui m’ont rattrapé des prises en charge. Mais à l’heure actuelle la communication n’est pas du tout développée, et je ne sais pas comment ça sera possible sans sacrifier des dizaines d’heures de consultation.
Le psychologue
Quelques mots de contexte avant : la collaboration, le nouveau modèle ?
J’adore les histoires de collaboration. Ça me passionne. C’était même l’objet de ma thèse : le travail collaboratif.
La collaboration, c’est un peu le niveau du dessus en termes de travail ensemble. Faire coopérer des gens dans une même équipe ou un même établissement, c’est déjà du travail, mais ça reste la version simple : il y a une organisation du travail, des contrats, une hiérarchie… tout ça aide à pousser dans le bon sens. Mais faire collaborer des gens d’établissements différents, avec des compétences et profils variés, exerçant différentes fonctions, avec des méthodologies et langages différents, et surtout… sans y être obligés (par un patron, un contrat ou une organisation du travail), parce que ça a du sens... Bah c’est le niveau du dessus.
Pourtant, la santé a opéré il y a des décennies de ça un virage vers ce modèle. Les premiers travaux sur les logiques collaboratives et le travail en réseau viennent d’ailleurs des secteurs de la santé et du conseil. La plupart du temps, la prise en soin suppose la collaboration de plusieurs établissements et professionnels libéraux. Et avec l’élan général vers l’ambulatoire, je ne pense pas que cet élan va diminuer. Ça devient idéologique.
Sur le papier, c’est pas si mal en plus. Le patient est pris en charge à droite à gauche, et les professionnels communiquent et tout va pour le mieux.
Mais dans la réalité, c’est horriblement compliqué. La plupart du temps, ça ne se fait carrément pas. Ou mal. Ou dans la souffrance. Actuellement, c’est regrettable, mais concrètement c’est le patient qui assure le rôle de coordination des soins, en veillant aux échanges, et en expliquant à chacun ce que l’autre à dit (avec un risque majoré de téléphone arabe). On pourrait peut-être faire mieux ?
La collaboration psychologue / psychiatre (en libéral)
Cela étant, on a un peu délimité le sujet avec le Dr Sikorav. On parle juste de faire collaborer deux professionnels libéraux. Ça semble plus simple, mais même là ça ne se fait pas sans heurts.
Je ressens aussi le besoin d’une précaution oratoire : c’est mon humble avis, très biaisé.
C’est évidemment éminemment subjectif, mais sur les façons de collaborer avec les psychiatres, on n’est pas loin du mythe quand j’en parle avec des collègues psychologues. On se raconte des légendes, on se transmet des astuces sur les façons de leur adresser un courrier, un patient, sur les choses à dire ou à ne pas dire, etc. On n’est pas très loin des pigeons superstitieux de Skinner. Et le pire c’est que je reproduis ces rituels, parce que bon, on ne sait jamais ? En vrac : ne pas proposer son diagnostic (c’est pas notre fonction) mais inventorier ce qu’on observe et relève ; ne pas formuler de demande trop explicite (il faut rester à sa place) mais solliciter un œil éclairé ; rester très humble.
Résultat, quand je dois écrire un courrier à destination d’un psychiatre, ça me prend généralement une heure, tant je soupèse chaque syllabe. Et je n’ai clairement pas ce temps de disponible, donc je le réserve aux cas qui le nécessitent absolument.
Des fois ça marche bien. Des fois je passe sûrement pour un con à lister des signes mais sans expliciter le diagnostic pourtant évident. Des fois, mes patients se font envoyer bouler sévèrement (de mon expérience, certains psychiatres détestent ce type de courrier, ils ne sont parfois même pas lus).
Comment pourrait-on améliorer ça ? Une réflexion en vrac :
Je suis bien d’accord sur le fait que pour une communication de qualité, il faudrait déjà avoir un langage commun, et là c’est le désastre. Déjà qu’entre psychologues on ne se comprend pas forcément avec nos jargons… A chaque fois qu’on explore une nouvelle théorie, il faut apprendre la langue qui va avec. Je ne pense pas que ça soit une bonne chose pour nous comme pour les bénéficiaires de nos prestations. Je reste convaincu que des outils comme le DSM restent un élan pertinent : on peut au moins se rattacher sur un vocabulaire standardisé pour essayer de se parler, c’est peut-être un peu sec mais ça me semble indispensable.
On pourrait peut-être aussi faire des progrès sur les moyens et canaux de communication. Parfois, la communication est mauvaise car je n’ai tout simplement pas de possibilité simple de contacter le psychiatre. Pas de numéro de téléphone, pas de mail, rien. Je comprends qu’il se protège cela-dit, je ne critique pas la méthode. Mais sans canal de communication, peu importe la capacité à parler la même langue. Certains patients me demandent : mais comment fait-on pour prendre RDV avec ce psychiatre ? Il a très bonne réputation, mais il n’y a aucune coordonnée ? Bah je ne sais pas, je me demande aussi. Il paraît qu’il est bien, mais le rencontrer est une quête aux accents mythiques.
(et je ne suis pas exemplaire du tout : mon numéro est facile à trouver, mais pour m’avoir au téléphone, il faut s’accrocher)Ça serait pas mal aussi qu’on clarifie les rôles et fonctions de chacun. J’ai encore des patients que je suis en psychothérapie qui reviennent déçus de consultations chez un psychiatre : il leur a expliqué ne pas poser de diagnostic, ne pas proposer de pharmacothérapie, mais être disposé à les suivre en psychothérapie.
Une réponse institutionnelle, politique, dont je n’arrive pas à imaginer les contours, serait aussi probablement importante. Parce qu’on se retrouve à se confronter individuellement à des problématiques politiques et socio-économiques. On pousse vers du libéral, de l’ambulatoire, du travail en réseau, mais quels moyens sont mis à notre disposition pour que ça marche ?
très interessant cet article. Je suis psychiatre libéral et j'adore savoir que mes patients sont suivis par des psychologues et qu'ils font des psychotherapies. ça me permet d'etre plus libre dans ma façon de les accompagner d'un point de vue psychologique. je n'ai clairement plus le temps de faire de psychotherapie et j'ai en effet redefini mon role médical, poser un diagnostic, donner un traitement et des conseils de vie. je m'interesse aux neurosciences, à la psychologies positives , à la méditation, à plein de chose qui peuvent aider les gens. Il m'arrive d'échanger avec des psychologues, c'est le plus souvent par téléphone, parfois on mange ensemble, on se rencontre.( j'habite une petite ville de province ). C'est tellement plus convivial. on se comprend dans ce métier d'accompagnement de la souffrance psychique. et on se soutient. Pour moi c'est très précieux. j'espère que mes collègues psychologues ne prennent pas de pincettes pour m'interpeller. Ceci étant chacun son rôle. et les vaches seront bien gardées!!
Merci à vous deux pour ce post. Ça contribue à dé-babeliser les chapelles dans lesquelles les professionnels du soin peuvent être coincés.